Décrochages d’onduleurs : où en sommes-nous fin 2025 ?
En cette fin d’année 2025, il semble opportun de faire le point, ensemble, sur un dossier qui mobilise notre association depuis plusieurs années : les décrochages d’onduleurs dus aux surtensions sur le réseau basse tension.
Ce dossier, nous ne le suivons pas à distance : nous le vivons à vos côtés. Une grande partie des administrateurs et bénévoles de BeProsumer étant eux-mêmes victimes de ces décrochages. Cette expérience concrète du terrain a naturellement guidé notre stratégie et nos actions, tant sur les plans médiatique, politique que juridique.
Depuis plusieurs années, BeProsumer a, en effet, choisi de ne pas se limiter à dénoncer les dysfonctionnements. Nous avons investi dans un travail de fond, en développant des outils concrets permettant d’accumuler des preuves objectivables.
En partenariat avec la start-up OpenWatt, nous avons ainsi mis en place :
- une plateforme en ligne capable d’enregistrer, toutes les 5 secondes, les données de tension et de puissance de centaines de prosumers victimes de décrochages ;
- des outils de diagnostic permettant d’identifier les décrochages, d’en comprendre l’origine et de conseiller les membres sur l’optimisation de leur installation électrique ;
- une base de données unique en Wallonie, combinant des mesures très fines (toutes les 5 secondes) avec les profils réels de production et injection.
En parallèle de ce travail technique, nos actions ont été accompagnées et sécurisées sur le plan juridique par nos avocats - le cabinet FIDAL et Me Kettels - afin d’analyser les différent dispositifs proposés par les autorités et garantir une protection effective et durable des prosumers victimes de décrochages.
Pour celles et ceux qui souhaitent disposer d’un récapitulatif détaillé de notre démarche et des actions menées, nous vous invitons à (re)découvrir :
- Notre page dédiée aux décrochages
- Notre communication spéciale de fin d'année qui récapitule notre stratégie globale
- Notre Article : « Où en est-on avec cette indemnisation ? » – le fil rouge de tout ce que nous venons d’expliquer
C’est précisément de cette dernière question – « Où en est-on avec cette indemnisation ? » – que traite le présent article.
Retrouvez en bas de cette page l'analyse Technique de l'AGW proposé par la CWAPE effectuée sur base des données récoltées par OpenWatt
D’où venons-nous ? Un premier AGW… vidé de sa substance
Revenons un instant en arrière.
En 2024, un premier projet d’Arrêté du Gouvernement wallon (AGW) relatif au régime d’indemnisation pour les limitations d’injection des installations de production d’électricité verte raccordées en basse tension avait été présenté par le précédent gouvernement wallon. Après analyse, BeProsumer avait refusé d’y apporterson aval et déconseillé aux responsables politiques d’en valider le contenu.
Pourquoi ? Parce que ce texte s’apparentait, en réalité, à une coquille vide:
- il imposait d’atteindre 120 minutes cumulées de décrochages avant de pouvoir prétendre à une indemnisation ;
- le montant de l’indemnisation prévue était forfaitaire, sans lien avec les mesures effectuées sur terrain via les compteurs intelligents, et très largement en dessous du préjudice réellement subis par les prosumers victimes de décrochages.
Lors de notre Assemblée Générale pré-électorale, organisée au printemps 2024 au WEX à Marche-en-Famenne et à laquelle l’ensemble du monde politique avait été convié, ce sujet a occupé une grande partie des débats. Le message adressé ce jour-là était sans équivoque :
un mécanisme d’indemnisation symbolique, inaccessible et forfaitaire ne répond pas aux besoins des prosumers wallons.
Dans la foulée, ce premier texte d’AGW 2024 a finalement été abandonné.
Changement de majorité et tournant politique : la proportionnalité inscrite dans la DPR
Les élections régionales de 2024 ont rebattu les cartes en Wallonie. Une nouvelle majorité MR – Les Engagés a pris les commandes du gouvernement régional.
Durant les tables rondes organisées dans le cadre de la formation du gouvernement, BeProsumer a été invité à présenterses priorités pour les années à venir. A cette occasion, nous avons défendu avec constance un principe simple et juste :
Les victimes avérées de surtensions et de décrochages doivent être indemnisées de manièreproportionnelle au préjudice réellement subi.
Ce principe a été repris noir sur blanc dans la Déclaration de Politique Régionale (DPR) du nouveau gouvernement wallon. C’est une avancée majeure puisque pour la première fois, la proportionnalité du préjudice subi par les prosumers victimes de décrochage est reconnue comme un objectif politique officiel.
Sur cette base, le régulateur wallon de l’énergie, la CWaPE, a été mandaté pour préparer un nouveau projet AGW intégrant :
- une proportionnalitéréelleentre pertes de production et indemnisation ;
- des critères d’éligibilité clairs pour qu’une plainte soit recevable auprès du gestionnaire de réseau (GRDs) ;
- une méthodologie de calcul juste et fondée sur les données des compteurs communicants.
Quand la surtension est mesurée, une indemnisation proportionnelle devient possible
Début octobre 2025, la CWaPE a réuni l’ensemble des acteurs du secteur de l’énergie, dont BeProsumer, pour une réunion de concertation consacrée au nouveau projet d’AGW.
Nous tenons à saluer le travail accompli par la CWaPE. Par rapport à la version précédente, le régulateur a fait preuve d’une ouverture et d’une écoute remarquable, prenant en compte les retours concerts des acteurs du terrain, y compris ceux que nous avons pu partager en tant que représentants des prosumers. Cette démarche a permis d’intégrer une véritable proportionnalité dans la méthodologie de calcul plus de l’indemnité, ce qui constitue un progrès tangible pour les prosumers victimes de décrochages.
La proposition prévoit désormais une indemnisation annuelle, couvrant toutes les limitations d'injection dus à une surtensions identifiées par les compteurs communicants sur une période de 12 mois (soit entre deux relevés d’index annuel ou sur 12 mois glissant en cas de relevés mensuels). Cette approche marque une rupture avec l’ancien système forfaitaire : l’indemnisation devenant proportionnelle et fonction des données réellement mesurées par les compteurs communicants.
Concrètement, le prosumer devra introduire une demande auprès de son GRD dès qu’il constate un problème de décrochage. Celle-ci sera jugée recevable dès que les données du compteur montrent sur la période d’observation de 12 mois que la tension du réseau n’est pas conforme à l’une des conditions suivantes :
- pour chaque période d'une semaine, 95 % des valeurs efficaces moyennes sur 10 minutes de la tension d'alimentation sont comprises dans la plage de 230 V ± 10 % sur chaque phase et toutes les valeurs efficaces moyennes sur 10 minutes de la tension d'alimentation sont comprises dans la plage de 230 V +10 % / -15 % sur chaque phase ;
- aucune valeur de tension moyennée par quart d’heure ne dépasse 250,7 V.
Étant entendu que la tension normale du réseau est fixée à 230 V, la principale différence entre les deux critères de recevabilité repose sur les points suivants :
- la première condition (dit « Bad Voltage Quality » ou « BVQ ») reprend les critères a minima de qualité de tension d’alimentation au point d’accès prévues par le Règlement technique électricité (à savoir la norme EN 50160) ;
- la seconde la seconde vise à pallier à l’impossibilité pour l’ensemble des GRD de garantir la disponibilité de l’événement “Bad Voltage Quality”. Cette situation s’explique notamment par les différences dans le déploiement des compteurs communicants et par les adaptations encore nécessaires des systèmes informatiques des GRD pour permettre le traitement de ces événements et générer une alerte dans leur système. Ce seuil de 250,7 V a été défini pour tenir compte d’un décalage technique bien connu : la tension mesurée au niveau de l’onduleur est toujours un peu plus élevée que celle mesurée par le gestionnaire de réseau. Sans cette marge, de nombreuses installations décrochent alors que le réseau est pourtant considéré comme « conforme » sur le papier à la norme EN 50160 reprise ci-dessus.
Une fois la demande acceptée par le GRD, le montant de l’indemnité, exprimé en EUR/kWe, est calculé en additionnant l’ensemble des quarts d’heure durant lesquels une surtension au-delà de 250,7 V est constatée en tenant compte :
- la puissance nette développable de l’installation photovoltaïque ;
- l’ensoleillementet le profil de production ;
- le fait que le prosumer bénéficie encore ou non du mécanisme de la compensation; ainsi que
- d’autres paramètres techniques intégrés dans une formule mathématique détaillée.
L’indemnisation devient ensuite automatique pour les années suivantes, tant que le GRD ne démontre pas que les conditions de recevabilité sont à nouveau respectées. Le prosumer ne doit donc pas refaire une demande chaque année.
Là où ça coince : la bombe à retardement du « Bad Voltage Quality »
Grâce aux données collectées via la plateforme OpenWatt durant les étés 2024 et 2025 - deux périodes particulièrement révélatrices, dont un été 2025 marqué par un ensoleillement record – nous avons pu confronter les critères de recevabilités proposés par la CWaPE à la réalité du terrain (voir le PDF ci-dessous).
Ces données montrent que le critère basé sur une tension moyenne supérieure à 250,7V couvre environ 95% des décrochages réellement subis par nos membres.
Il s’agit donc d’un critère objectif et largement représentatif des situations vécues sur le terrain.
À l’inverse, le critère BVQ exclurait près de 27 % de ces mêmes prosumers, alors même qu’ils subissent un décrochage.
De la sorte et si l’AGW s’était limité au second critère de recevabilité, un pas décisif aurait été franchi en faveur des prosumers victimes de décrochages.
Malheureusement, il existe un risque à la lecture du projet d’AGW que ce dernier donne une primauté au critère « Bad Voltage Quality » dès que cette fonctionnalité sera activée sur un compteur, reléguant le deuxième critère au second plan.
En pratique, le BVQ pose plusieurs problèmes majeurs:
- Il ne tient pas compte de la marge de 2,3 V entre le point de mesure des GRDs et le niveau de l’onduleur, ce qui peut laisser de côté des situations concrètes où les installations se déconnectent malgré un réseau officiellement conforme. Cette incohérence est d’autant plus problématique que l’indemnité sera calculée sur la base du seuil de 250,7 V ;
- Il n’est pas encore opérationnelle : aucun compteur communicant installé en Wallonie n’est aujourd’hui configuré avec cette fonctionnalité. Au mieux, ils mesurent la tension moyenne par quart d’heure;
- la date effecitve de son déploiement reste incertaine et il ne sera pas disponible sur tous les modèles de compteurs existants ;
- sa configuration et ses paramètres d’activation relèvent exclusivement des GRD, qui décideront eux-mêmes des paramètres d’activation.
Hormis le fait que le BVQ exclut plus de 25 % des prosumers victimes de décrochages, cette situation crée également un risque de traitement différencié et de non-lisibilité pour les prosumers concernés : selon l’état d’avancement des GRD dans le déploiement du BVQ, certaines demandes pourraient être jugées recevables ou non selon des critères différents, générant une interprétation fragmentée et inéquitable du régime d’indemnisation
Nous considérons que faire du BVQ le critère principal de recevabilité reviendrait à vider l’AGW de sa substance.
Sur papier, le texte pourrait sembler séduisant mais en pratique il serait inapplicable.
Un quart des plaintes avérées sur le terrain seront déclarées irrecevables
Ce serait, en définitive, un remake de 2024 : un AGW qui donne l’illusion d‘une solution mais qui, sur le terrain, laisserait une nouvelle fois les victimes de décrochages sans véritable recours.
Dans ce cadre, nous demanderons explicitement le retrait du BVQ du texte final, ou, à tout le moins, son maintien uniquement comme option secondaire, et en aucun cas comme condition obligatoire pour accéder à l’indemnisation.
De manière générale, quelle que soit la définition des conditions de recevabilité retenue par le gouvernement, nous exprimons une extrême prudence tant qu’il n’aura pas été déterminé et démontré de manière transparente, vérifiable et auditable par des tiers indépendants :
- les paramètres et le calendrier de déploiement des solutions permettant aux GRD d’identifier les conditions de recevabilité des décrochages ;
- leur fonctionnement réel sur des cas concrets de prosumers victimes de décrochages.
Nous considérons que la priorité doit rester la mise en place d’un régime clair, fiable et reproductible, où les calculs d’indemnisation peuvent être compris, vérifiés et appliqués de manière cohérente pour tous les prosumers.
Ce 10 décembre 2025 : la balle est dans le camp du Gouvernement wallon
Le 10 décembre 2025, la CWaPE a annoncé, par voie de communiqué, avoir transmis au Gouvernement wallon la version finalisée de son projet d’AGW relatif au régime d’indemnisation des décrochages en basse tension.
À partir de maintenant :
- le Gouvernement wallon doit examiner ce texte, éventuellement l’amender, puis décider de le valider ou non afin d’en faire un arrêté contraignant pour les GRDs ;
- cette décision déterminera concrètement si, dans les prochaines années, les prosumers victimes de décrochages bénéficieront enfin d’une indemnisation réelle, proportionnelle et effective.
De notre côté, BeProsumer entend poursuivre son rôle de vigile et de défense des prosumers. Dans les prochaines semaines, nous interpellerons officiellement le Gouvernement Wallon pour :
- Saluer le travail réalisé par la CWaPE qui introduit une véritable proportionnalité, fondée sur le critère de 250,7 V et une formule d’indemnisation objectivable ;
- Mettre en garde contre l’introduction de BVQ comme critère principal d’éligibilité;
- Demander explicitement le retrait de BVQ du texte final
- Enfin, BeProsumer demande au Gouvernement wallon d’inclure dans l’AGW une clause de rétroactivité, afin que les prosumers ayant signalé leurs décrochages et obtenu la pose d’un compteur communicant soient indemnisés à partir du moment où ce compteur a commencé à enregistrer les problèmes de surtension.
Et maintenant ? Rester mobilisés, ensemble
Le dossier des décrochages d’onduleurs est emblématique des valeurs et combats portés par BeProsumer:
- La protection des prosumers ;
- La transparence et lisibilités des règles qui les concernent ;
- L’équilibre entre les investissements nécessaires sur le réseau et l’indemnisation des préjudices subis ; et surtout
- le refus des solutions «vitrines» qui donnent l’illusion d’agir sans produire d’effets réels sur le terrain.
Nous continuerons à travailler avec nos partenaires techniques (OpenWatt), juridiques (FIDAL et Me Kettels) et avec l’ensemble des pouvoirs publics pour que ce texte ne devienne pas une coquille vide. Dans le même temps, nous restons vigilants et pleinement mobilisés.
Si nos mises en garde concernant les critères de recevabilité n’étaient pas entendues et si ce dispositif devait, dans les faits, se révéler inapplicable ou inefficace, BeProsumer n’exclut pas d’engager les actions juridiques nécessaires à l’encontre des gestionnaires de réseau, dans l’intérêt des prosumers qu’elle représente.
- Notre page dédiée aux décrochages
- Notre communication spéciale de fin d'année qui récapitule notre stratégie globale
- Notre Article : « Où en est-on avec cette indemnisation ? » – le fil rouge de tout ce que nous venons d’expliquer